Une introduction au français de Louisiane

Le français de Louisiane est une collection de variétés parlées par les Amérindiens, les Africains, les Acadiens et les Européens depuis le XVIII siècle.

Un dictionaire du français de Louisiane.

Le « Dictionary of Louisiana French : As Spoken in Cajun, Creole, and American Indian Communities » est une ressource importante pour les gens qui veulent apprendre le français louisianais. Jonathan Olivier/Télé-Louisiane

Par Jonathan Olivier

Je me rappelle toujours des petites phrases que ma mère et mon père disaient qui m’ont bien touchés. « Viens manger » ou « ferme la porte ». Des mots enracinés dans le français de Louisiane, le sous-produit de leurs enfances : leurs parents sont locuteurs natifs du français louisianais, tandis que la mère de ma mère a été élevée itou avec le créole louisianais. 

Pourtant, pendant la grande partie de ma vie, le français n’a joué qu’un rôle mineur, un résultat de décennies d’américanisation, de changements économiques en Louisiane du XX siècle et de la constitution de l’État de 1921 qui autorisait seulement l’utilisation de l’anglais dans les salles de classe. Une chaîne patrimoniale et linguistique avait été rompue, celle qui me liait à mes premiers ancêtres en Amérique du Nord. Au début du XVII siècle, ils sont arrivés en Nouvelle-Écosse, Canada, dans la région qu’ils ont nommée l’Acadie.

Mon parcours pour retrouver la langue de ma famille a été long. J’ai suivi des cours au high school, à l’université et j’ai participé à un programme d’immersion française au Canada. J’ai voyagé au Québec et au Nouveau-Brunswick. J’ai commencé à parler presque seulement en français à mes grands-parents afin de saisir et de mieux comprendre le français de Louisiane, de ma famille. Dans une région asteur dominée par l’anglais, je dois travailler tous les jours. Je fais des erreurs, puis j’en apprends. Parfois, c’est trop de travail. Et j’imagine que c’est vrai pour la plupart du monde qui a fait ce pas vers la récupération d’une langue d’héritage. 

Bien que, à d’autres moments, j’oublie le travail et la pression de faire préserver le français louisianais alors que le nombre de locuteurs natifs continue de diminuer. Je ne me tracasse pas des erreurs que je fais. Je parle français sans effort. La langue de mes ancêtres ouvre des portes que je n’apercevais pas avant. Des idées, des opportunités et des amis m’arrivent qui autrement m’auraient été inconnus. Pour moi, mon parcours a évolué au-delà d’une manière de récupérer un lien rompu, mais asteur le français fait partie de mon existence. La langue aussi fait partie de mon identité.

Pour ceux qui veulent faire le premier pas pour apprendre le français louisianais, ou même pour ceux qui sont simplement curieux à ce sujet, ce guide vous offrira une introduction à plusieurs aspects de la langue. Cet article n’est pas exhaustif du tout. Mais j’espère qu’il vous fournira un début, ou peut-être même une inspiration pour continuer votre propre effort pour apprendre le français louisianais.

Quoi c’est le français de Louisiane ?

Le français louisianais, aussi communément appelé le français cadien, est un terme générique pour une collection de variétés de français qui a été parlée pour la première fois dans la région par des groupes francophones tels que des colons français, des Canadiens, des créoles haïtiens et des Acadiens. Le français, langue dominante de la Louisiane depuis de nombreuses générations à partir du XVIIIe siècle, a également été adopté par de nombreux groupes amérindiens de la Louisiane, des esclaves africains et des gens de couleur libres, ainsi que des allemands, des espagnols et des anglais.

De nos jours, les principales populations qui parlent le français louisianais comme langue maternelle sont des franco-indiens (des amérindiens des bayous des paroisses Lafourche et Terrebonne), des créoles de toute couleur et des cadiens. Tous ces groupes descendent d’un mélange des peuples fondateurs de notre État.

Au fil des décennies, le français louisianais a été façonné par ces différents groupes ethniques. Par exemple, il existe plusieurs éléments d’origine autochtone comme « un chaoui » (un raton laveur), dérivé des chattaux, ou une plaquemine (un kaki), d’une langue algonquienne. Les mots gombo et aussi « févi » sont dérivés des peuples d’Afrique. Lagniappe (supplémentaire) vient de l’espagnol en Amérique du Sud.

Il existe plusieurs mots que les Louisianais ont conservés mais qui ont disparu en France. Par exemple, une chevrette est un vieux mot qui est resté en Louisiane en raison de l’isolement. Alors qu’en France aujourd’hui les gens utilisent « crevette », plus récemment adopté des Normands. Les Louisianais ont aussi adapté quelques mots pour faire référence à de nouvelles inventions comme la voiture, qui en Louisiane et au Québec est « un char ».

Malgré ces quelques variations lexicales, le français louisianais est mutuellement intelligible avec d’autres variétés de français à travers la francophonie. Après tout, le français tel qu’il est parlé aujourd’hui en France n’est qu’un dialecte de la langue.

Un continuum linguistique

Dans les régions géographiques ayoù le français louisianais a existé à côté du créole louisianais, il existe la notion d’un continuum de français et de ses variétés liées, qui comprend : le français louisianais, le créole louisianais et le français international. Un continuum implique une sorte de structure avec des éléments qui sont similaires mais nettement différents aux deux pôles. Dans ce cas, imaginez qu’il existe trois éléments sur un plan linéaire, avec le français international et le créole louisianais à des extrémités séparées, puis le français louisianais au milieu. Ces deux pôles extrêmes sont différents au niveau morphosyntaxique alors qu’il y a beaucoup de chevauchements au niveau lexical entre le français louisianais et le créole louisianais. Ces similitudes et ces différences sont importantes en Louisiane ayoù quelques différentes communautés interagissent régulièrement.

Normalement, il existe des gens qui se situent dans un lieu fixe sur le continuum, selon la langue ou la variété du français qu’ils parlent. Cependant, en raison de l’interaction entre les communautés linguistiques, des gens ont souvent la capacité de se déplacer sur le continuum. Par exemple, un locuteur natif du français louisianais pourrait se déplacer vers le créole louisianais s’il interagit régulièrement avec des locuteurs créoles. Cette tactique permet aux différentes communautés linguistiques de communiquer.

Même si, à une certaine époque, le créole louisianais était classé comme un dialecte du français louisianais, il est en fait sa propre langue compte tenu de sa syntaxe et de sa grammaire uniques, malgré ses similitudes lexicales avec le français de Louisiane. Le français créole est un terme ambigu mais couramment utilisé pour désigner le créole louisianais ou des personnes qui s'identifient comme créoles qui parlent le français louisianais. La communauté de locuteurs de la Louisiane est encore plus compliquée et enrichie par le fait que le créole louisianais est parlé non seulement par les créoles, mais aussi par de nombreux cadiens.

Alors que les Louisianais peuvent se référer à la langue qu’ils parlent comme cadien, créole, français cadien, français créole, français indien, français Houma ou juste français, les linguistes utilisent de plus en plus les termes le créole louisianais ou même le kouri-vini, et puis le français louisianais, dans le but d’identifier plus précisément ces deux langues dans le continuum linguistique de la Louisiane.

Variation du français louisianais

Deux hommes parlent le français de Louisiane.

Herb Wiltz, icitte dans l’épisode 10 de La Veillée, parle français louisianais et créole louisianais. Drake LeLeblanc/Télé-Louisiane

Il existe plusieurs variétés du français en Louisiane qui diffèrent en raison des facteurs comme la géographie, l’âge, l’éducation ou même l’attrition linguistique. Certains francophones du sud-est de la Louisiane notamment dans la Paroisse Lafourche utilisent un « h » aspirant lorsqu’ils prononcent « j » ou « g ». Il y’en a qui pourrait utiliser le mot « grouiller » tandis que d’autres dirait « déménager » ou même move, emprunté à l’anglais. Dans les paroisses des Avoyelles et de Lafourche, il est courant d’exprimer « quoi » en disant « qui » alors que d’autres régions de la Louisiane emploient « quoi ».

Le professeur émérite de l’Université de l’Indiana, Albert Valdman, dans son étude « Standardization or laissez-faire in linguistic revitalization », a donné l’exemple d’un locuteur natif du français louisianais qui dans un paragraphe a utilisé cinq façons différentes d’exprimer « ils » : eux-autres, ça, ils, eusse, et ils avec -ont.

Mais sho, eux-autres serait contents, tu les appelle ‘oir, parce que ça travaille tard, eusse a un grand jardin en arrière, et ils travaillont tard, des fois ils sont tard dans la maison. 

L’étude a montré que différents groupes d’âge avaient tendance à s'exprimer d’une manière différente. Par exemple, 25 pour cent des personnes âgées de plus de 55 ans avaient tendance à utiliser « ils », tandis que seulement 1 pour cent des personnes de moins de 30 ans utilisaient « ils ». Plutôt, 77 pour cent des gens plus jeunes ont opté d’utiliser « eusse ».

En raison de cette variation, les linguistes n’ont pas exactement une seule définition du français louisianais. Au lieu de cela, il est mieux compris comme une collection de différentes variétés qui sont parlées à travers l’État. Même encore, ces variétés partagent beaucoup en commun, donc voici quelques exemples qui rendent le français de Louisiane unique.

Éléments lexicaux

Deux personnes qui parlent le français de Louisiane.

Ruby et Raymond Danos, icitte dans le sixième épisode de La Veillée, viennent de Cutoff, en Louisiane, ayoù ils ont appris à parler français à la maison. Drake LeBlanc/Télé-Louisiane

Un élément lexical est un mot ou une séquence de mots. En raison de la diversité linguistique de la Louisiane, il existe des éléments lexicaux propres au français louisianais, bien que beaucoup plus soient bien connus au Canada, en France ou dans toute la francophonie. D’autres éléments lexicaux sont assez courants en français, bien qu’ils aient une signification différente en Louisiane en raison de leur isolement par rapport aux autres régions francophones. Voici quelques exemples :

  • Un chaoui (origine amérindienne)

    • Français international : Un raton laveur

  • Asteur (commune au Canada et dans certaines régions de la France)

    • Français international : Maintenant

  • Un char (commune au Canada)

    • Français international : Une voiture

  • Une banquette

    • Français international : Un trottoir

  • Une piastre (commune au Canada)

    • Français international : Un dollar

  • Une chevrette 

    • Français international : Une crevette

  • Une plaquemine (origine amérindienne)

    • Français international : Un kaki

  • Des souliers

    • Français international : Des chaussures

  • Espérer

    • Français international : Attendre

Structure grammaticale régionale

En français louisianais, la structure grammaticale, ou l’arrangement des mots, peut être variée et aussitte unique. Alors que les élèves du français comme langue seconde sont souvent prompts à prendre des éléments lexicaux comme les noms, il est plus difficile d’intégrer des structures grammaticales plus complexes. Si vous parlez à un locuteur natif du français louisianais, vous entendrez probablement ces quatre structures souvent.

  • Être après

    • En français louisianais, le présent progressif est « être après » au lieu de « être en train de » . Par exemple, « Je suis après faire quelque chose ».

  • Avoir pour

    • C’est une façon courante en Louisiane d’exprimer un besoin. Par exemple, quelqu’un pourrait dire, « J’ai pour travailler aujourd’hui ».

  • Contractions article/préposition

    • En Louisiane, on entend souvent les locuteurs éviter certaines contractions. Alors, on pourrait dire, « C’est à cause de le froid j’ai resté dedans la maison » au lieu de dire « du froid ».

  • Pronoms sujets

    • Généralement, les locuteurs natifs du français louisianais suivent les mêmes modèles de pronoms que le français international avec quelques exceptions. Les exemples ci-dessous présentent les pronoms qui diffèrent du français international.

      • Vous (utilisé rarement et seulement dans des situations très formelles) 

      • Elle (parfois prononcé/écrit comme alle)

      • Nous-autres, On

        • L’expression plus familière de « on » a en gros remplacé « nous » en français louisianais. Pourtant, « nous-autres » est souvent utilisé conjointement avec « on ». Par exemple, « Nous-autres, on était dans le clos un tas des années passées ».

      • Vous-autres 

        • Ce pronom sujet utilise le même verbe que la troisième personne du singulier « il ». Par exemple, « Vous-autres va à la messe ? »

      • Ils (souvent utilisé pour exprimer des hommes et des femmes)

      • Elles (cette forme n’est pas souvent utilisée)

      • Ça, eux-autres, eusse (souvent utilisé en place d’ils/elles)

        • Le mot « eusse » est commun dans le sud-est de la Louisiane dans les paroisses de Terrebonne et de Lafourche. Cependant, il n’est pas aussi commun dans d’autres régions de la Louisiane. Alors que « ça » et « eux-autres » sont généralement utilisés dans toute la région francophone de l’État. Ces trois sont généralement conjugués à l’aide du verbe à la troisième personne. Par exemple, « Eux-autres a deux garçons. Mais ça voulait une tite fille itou ». 

Comment apprendre le français de Louisiane ?

Une personne devant une table qui parle le français de Louisiane.

Abraham Parfait, de la Nation Unie Houma, icitte dans le cinquième épisode de La Veillée, parle ce que les gens de sa communauté appellent le français houma ou le français indien. Drake LeLeblanc/Télé-Louisiane

Il y a plein de manières d’apprendre le français louisianais. Des cours en ligne dispensés par des experts locaux sont disponibles, et les textes compilés par les linguistes offrent des informations précieuses. Et bien sûr, l’une des meilleures façons de pratiquer est de trouver un locuteur natif pour apprendre directement d’eux-autres. S’ils le permettent, enregistrez votre conversation et transcrivez-la, ce qui fonctionne comme un moyen intime d’apprendre. Ci-dessous sont des ressources pour commencer votre parcours vers l’apprentissage du français louisianais.

Read in English

Sources :

Ancelet, B. J. (1988). "A perspective on teaching the “problem language” in Louisiana.” The French Review, 61,

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Ancelet, B. J. (2007). “Negotiating the mainstream: The Creoles and Cajuns in Louisiana.” The French Review,

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Blyth, C. (1997). “The Sociolinguistic Situation of Cajun French: The Effects of Language Shift and Language

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Brown, B. (1993). “The social consequences of writing Louisiana French.” Language in Society, 22, 67-101

Dajko, Nathalie (2012). “Sociolinguistics of Ethnicity in Francophone Louisiana.” Language and Linguistics

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Dajko, Nathalie; Carmichael, Katie (2014). “But qui c’est la différence ? Discourse markers in Louisiana French:

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Valdman, Albert (2000). "Standardization or laissez-faire in linguistic revitalization: The case of Cajun French.”

Indiana University Working Papers in Linguistics 2: The CVC of Sociolinguistics: Contact, Variation, and

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Valdman, Albert; Picone, Michael D. (2005). “La situation du français en Louisiane.” In A. Valdman et. al, Le

Français en Amérique du Nord: État présent (pp. 143-165). Les Presses de l’Université Laval.