Dans la paroisse des Avoyelles, il existe un conte louisianais qui transcende le temps et la langue.
Par Natalie Roblin
Cet article a été publié en partenariat avec Country Roads Magazine. Lire l’article en anglais sur leur site web ici.
Si on prononce le mot « Pachafa » dans la paroisse des Avoyelles, on obtient probablement au moins la moitié d'une histoire. Depuis des générations, les enfants redoutent l'histoire de l'effroyable créature mi-homme qui vient les kidnapper. Quant à l'autre moitié de l'histoire . . . cela dépend à qui on la demande.
« Quand t’étais un tit bougre, t’étais seul dans les bois, dans la cyprière, commence l'anthropologue Dustin Fuqua, originaire de la paroisse des Avoyelles. C'est très calme. T’entends un sifflement. » Il émet un sifflement aigu entre ses dents, puis marque une pause : « Et tu guettes en haut, en haut de l'arbre. Et voilà. Le Pachafa ! »
Fuqua raconte l'histoire, tel qu'il l'a entendu des membres de sa famille lorsqu'il était enfant. « Pachafa commence à descendre du cyprès, poursuit-il en levant les yeux. Il voit le tit bougre. D'une main, il offre des herbes ; de l'autre, il offre un couteau. Si le tit bougre choisit les herbes, il devient un homme-médecine. S'il choisit le couteau, il devient un guerrier. »
Si l'histoire de Pachafa est familière aux habitants de toute la paroisse, elle est très présente dans la communauté de Bayou Blanc, qui se trouve à quelques milles du siège de la paroisse à Marksville, près de la réserve de la Tribu Tunica-Biloxi. Pour Fuqua, Bayou Blanc est la mise en scène effrayante de Pachafa. « Mon premier souvenir de Pachafa est celui d'un drive dans notre char vers la Spring Bayou Wildlife Management Area », raconte Fuqua, à qui sa mère a toujours dit que Pachafa vivait dans un ancien bâtiment, près de la rampe de mise à l'eau de Boggy Bayou, à une vingtaine de minutes de chez eux. Fuqua et sa famille faisaient souvent le trajet, avec une sorte de peur et d’anticipation au fur et à mesure qu'ils avançaient sur la route de gravier, de plus en plus près de la maison de Pachafa.
La zone de gestion de la faune de Spring Bayou s'étend sur 12 000 acres à travers le marais de la rivière rouge. Une série de coulées, de lacs et de bayous traversent la région et ses communautés, et les habitants de cette région connaissent tous le conte de Pachafa. Dans les alentours de ce marais, au milieu de la réserve de la tribu Tunica-Biloxi, se trouve la Coulée de Greus, qui se coule dans la Old River, et puis dans la zone de gestion de la faune de Spring Bayou. La Coulée de Greus et la zone de Spring Bayou, ainsi que le cimetière de Fort DeRussy dans la communauté de Brouiliette, sont des endroits importants dans les récits des Tunicas et des Créoles. Comme le souligne Fuqua, la Coulée de Greus est un lieu sacré où se trouvaient autrefois des cimetières et, selon certains récits des Tunicas, où le Pachafa reste. Bien que Pachafa n'ait pas de port d'attache explicite, il plane près et autour de ces cours d'eau et des côteaux amérindiens qui les entourent. « Son histoire est assez localisée et, d’après moi, c'est à cause des côteaux », explique Fuqua.
Langue et transmission
La langue influe sur la nature malléable du conte et du nom de Pachafa. Les nombreuses versions du conte illustrent l'interaction complexe de la culture et de la langue qui constituent historiquement la paroisse des Avoyelles. Si le nom le plus largement reconnu pour la légende est « Pachafa », il existe plusieurs orthographes et interprétations. Pour les enfants qui ont entendu le conte en français ou créole louisianais, il est devenu « Johnny Pachafa ». Certains, comme Fuqua, pensent qu'il s'agit d'une version anglicisée du conte populaire français « Jean à patte de fer », qui fait référence à un personnage doté d'une prothèse de pied. Pour les membres de la tribu Tunica-Biloxi, c’était « Tanapachafa », ou simplement « Tanap », un mot choctaw associé à la guerre.
Pete Gregory, conservateur du Williamson Museum de la Université d’État du Nord-Ouest, et Donna Pierite, du Tunica-Biloxi Cultural and Educational Resource Center, ont traduit la légende tunica comme « Tanap apah achafa », décrivant vaguement un mi-homme, mi-guerrier n'ayant qu'une jambe. D'après les recherches de Fuqua, Gregory et Pierite, le mot « tanap » pourrait également dériver du mot tunica « tana », qui signifie « louse », un terme d'argot courant pour désigner une personne canaille. Le mot tunica « pachafa » est utilisé pour décrire quelqu'un qui marche en boitant : une idiosyncrasie notoire de Pachafa.
Dans presque toutes les versions du conte, le Pachafa est mi-homme, mais l'autre moitié peut aussi être mi-cocodrie ou mi-cheval. Parfois, il est simplement décrit comme la moitié d'un homme, longeant les voies ferrées ou rôdant dans les bois et les clos.
Fuqua et Pierite pensent que le conte de Pachafa pourrait avoir été repris du conte choctaw du « petit peuple ». Dans cette légende, un petit garçon se promène dans les bois et doit choisir entre un couteau et des herbes. La Tribu Tunica-Biloxi comprend de nombreux descendants de Choctaw qui, au fil des générations, ont pu réinterpréter ce conte et préserver l'histoire de « Tanapachafa ». Certaines versions tunica font référence aux herbes et au couteau, tandis que d'autres versions opposent Tanap au jeune garçon dans un combat de lutte.
Un rite de passage
Les membres de la Tribu Tunica-Biloxi considèrent l'écoute du conte de Tanapachafa comme un rite de passage. Pierite, qui est la gardienne des légendes et des chansons de la tribu Tunica-Biloxi, éprouve des sentiments complexes à l'égard de Tanap. « Il y avait de la peur, mais aussi du respect », explique-t-elle. Elle se souvient de la manière cérémoniale dont sa grand-mère partageait les contes : elle barrait la porte d'entrée, puis la porte de sa chambre, asseyait les enfants sur le côté du lit et, à voix basse, transmettait le savoir de Tanap à la génération suivante.
Pour Pierite, entendre ces contes était un événement privé et personnel. Dans son enfance, on lui a dit de ne raconter à personne les contes qu'elle entendait, ce qui a été une façon de se protéger d'éventuels jugements ou moqueries. Pierite décrit une telle difficulté qu'elle a eue au début à partager ces contes avec le public lors des Pow Wows des Tunica-Biloxi. Au fil des ans, cependant, sa fierté a vaincu ses craintes. « C'est notre héritage. C'est notre trésor », dit-elle.
La nature intime des contes populaires autochtones, ainsi que le départ d'un grand nombre de Tunicas de la région des Avoyelles au cours des cinquante dernières années, peuvent contribuer à la forte association de Pachafa avec la tradition de la communauté créole des Avoyelles. Cependant, comme la plupart des meilleures traditions louisianaises, ce conte est un amalgame des nombreuses cultures qui composent la région. Chacune de ses diverses versions est essentielle à sa préservation.
Un conte oral
Depuis près de dix ans qu'il effectue des recherches sur la légende de Pachafa, Fuqua n'a trouvé aucune référence historique ni aucun récit écrit sur cet esprit légendaire, à l'exception d'une brève description qu'il a contribué à créer pour la bière « Pachafa Pale Ale » de la Broken Wheel Brewery de Marksville. L'histoire est toujours changeante, toujours en évolution, préservée uniquement dans les archives de la mémoire individuelle. C'est peut-être ce qui rend ces traditions orales si sentimentales ; nous nous accrochons à nos variations subtiles des histoires comme un moyen de rester proches de nos identités et de nos ancêtres. C'est aussi ce qui fait du folklore un agent unificateur, qui nous permet de nous unir autour de points communs et d'expériences partagées. Comme l'explique Nathan Rabalais dans son livre « Folklore Figures of French and Creole Louisiana » : « Le paradoxe de la spécificité et de l'universalité est ce qui donne aux lecteurs et aux auditeurs du monde entier l'impression particulière d'être à la fois familiers et nouveaux. »
Le pachafa est régional et spécifique : il se cache toujours dans des endroits proches tels que les clos de maïs, les bayous ou sous les ponts des alentours. Selon Rabalais, ce processus de substitution d'éléments décoratifs ou superficiels d'une histoire—comme ce que pourrait être l'autre moitié de mi-homme—s'appelle la « localisation ». « La localisation est responsable de la relativité du récit et de la proximité affective avec l'auditeur. Les histoires changent et prennent des aspects contemporains afin de devenir plus pertinentes pour chaque communauté, chaque famille, chaque personne », explique-t-il.
Conclusion
Il est pratiquement impossible de démêler les différentes versions du conte de Pachafa, tant ils sont imbriqués les uns dans les autres : tous se prêtant, au fil du temps, les uns aux autres. Aujourd'hui, les créoles des Avoyelles se souviennent avoir entendu l'histoire de Johnny Pachafa en tant que « tit garçon », lors des promenades de fin de semaine au camp avec les frères et les oncles ou les pères et les grands-pères, sans nécessairement se rendre compte de que ce conte était lui-même une adaptation des contes folkloriques de la tribu de Tunica-Biloxi.
La façon dont Pachafa, dans toutes les versions, est devenu un mi-homme n'est pas claire. Cette partie du conte semble changer à chaque fois, mais elle est toujours horriblement créative : une tronçonneuse, un train, une machine à couper le bois, le diable. Les contes de Pachafa n'existent pas en lignes droites parallèles les uns aux autres, mais plutôt en courbes et torsions, s'entrelacent comme des étendues d'eau, s'écoulant parfois en harmonie. Et parfois se coupant les uns les autres.