À Lafayette, d’anciens étudiants en immersion essaient d’établir les institutions nécessaires pour soutenir une nouvelle génération de francophones.
Cet article est la deuxième partie d’une série sur le français en Louisiane. La partie 1, qui explique les complexités de l’immersion française en Louisiane, est disponible icitte.
Par Jonathan Olivier
Renée Reed a commencé à apprendre le français lorsqu’elle avait environ cinq ans à l’école primaire Évangéline, un programme d’immersion à Lafayette. Bien qu’elle ait quitté le programme un an plus tard, le français est resté dans sa vie grâce à la musique cadienne et le temps qu’elle a passé avec ses grands-parents qui sont des locuteurs natifs du français louisianais.
« Je me rappelle d’une période de ma vie ayoù j’étais petite, et j’ai parlé surtout français à l’école, a déclaré Reed. Et puis quand j’allais chez mes grands-parents, parce que j’allais souvent là-bas, on parlait français. »
Malgré son lien familial avec le français, l’anglais a demeuré la langue maternelle de Reed. Puisque l’anglais était devenu la langue dominante de la région depuis quelques décennies quand elle était petite au début des années 2000, c’était facile pour le français de se faire oublier. Puis, au high school, elle a commencé à jouer de la musique cadienne, avec sa mère, Lisa Trahan, qui joue avec les Magnolia Sisters et son père, Mitchell Reed, qui a joué avec BeauSoleil. Plus tard, en tant qu’étudiante à l’Université de Louisiane à Lafayette, elle s’est spécialisée en français et en musique.
En raison des diverses manières dont Reed avait appris la langue, elle avait créé une mosaïque de compétences en français. Afin de former une base plus solide, en 2019, quand elle avait 20 ans, elle a participé à un programme d’immersion française de cinq semaines à l’Université Sainte-Anne en Nouvelle-Écosse, au Canada. Les participants ne pouvaient parler que français pendant la durée du programme, pendant les cours et une variété d’ateliers, de jeux et d’activités.
« C’est comme ça qu’on apprend vraiment, quand on est dans la vraie vie avec la langue, a déclaré Reed, asteur âgé de 24 ans. Et j’avais jamais été dans cette sorte de situation avant. Ça fait, avec cette expérience, j’ai appris plus que j’ai aperçu. Deux semaines après je suis arrivée, je pouvais vraiment parler en français et je connaissais pas à quel point j’étais après apprendre. »
Reed est ce que les linguistes en Europe qui étudient la revitalisation des langues minoritaires et patrimoniales appellent un « nouveau locuteur ». D’habitude, il s’agit d’une personne qui a été peu exposée à une langue patrimoniale à la maison ou dans la communauté et qui l'obtient ensuite dans le cadre de projets d’immersion ou de revitalisation linguistique.
Au cours des dernières décennies, le français a surtout été transmis aux jeunes générations de Louisianais comme c’était le cas pour Reed, grâce à l’éducation en immersion : qu’ils soient enfants ou adultes. Beaucoup de locuteurs natifs du français louisianais sont souvent vieux, généralement âgés plus de 60 ans, mais majoritairement avec plus de 70 ou 80 ans. Pendant que cette population vieillit, dans un avenir proche, ces nouveaux locuteurs du français en Louisiane constitueront la majorité des francophones de l’État.
Cette génération de nouveaux locuteurs, souvent âgés de moins de 40 ans, représente un changement générationnel qui s’est développé après que la transmission du français à la maison a disparu au milieu et à la fin du XXe siècle. Leurs grands-parents parlaient probablement le français comme langue maternelle, et leurs parents étaient probablement des anglophones ayant une certaine connaissance du français. Ce contact avec des locuteurs natifs du français louisianais, bien que souvent limité, donne aux nouveaux locuteurs la capacité de saisir ce qu’ils peuvent et de le transmettre, selon Stephen Ortego, un architecte basé à Lafayette qui a étudié à l’Université Sainte-Anne.
« Notre génération est un peu le pont entre nos grands-parents qui parlaient presque tous français et la génération qui vient, a déclaré Ortego, 39 ans de Carencro. C'est à nous pour transmettre la langue à une autre génération. Et c'est important d'avoir un certain pourcentage de nous qui continue ce qui nous fait spécial. »
Pour que le français demeure viable avec cette nouvelle génération, le folkloriste et professeur émérite de l’Université de la Louisiane à Lafayette, Barry Ancelet, a écrit dans un essai de 1988 qu’il faut développer un « environnement français ». Ça comprend une société ayoù le français est institutionnalisé et visible au ras de l’anglais à travers d’émissions de radio et de télévision, de magazines, de livres, de panneaux publicitaires et de panneaux routiers. « Si quelqu’un doit se donner la peine d’apprendre le français, a écrit Ancelet, il doit y avoir quelque chose à faire, à lire, à voir et à entendre dans la langue. »
Pendant une bonne partie des décennies qui ont suivi l’appel d’Ancelet à rétablir le français dans l’État, son environnement francophone n’est pas apparu. Pourtant, au cours des dernières années, il y a eu une vague de progrès grâce, en grande partie, aux anciens étudiants en immersion française. Dispersés dans le sud de la Louisiane sont des signes d’une nouvelle vie qui nourrit le français au sein de la société d’État par l’infrastructure, la musique et l’art.
Bâtir un environnement français
Ortego entendait souvent le français quand il était enfant, passant du temps à Washington ou aux Opelousas avec ses grands-parents, ses voisins et sa famille. Mais il n’a pas été immergé dans une société ayoù le français est institutionnalisé avant d’avoir participé, à l’âge de 19 ans, au programme d’immersion de l’Université Sainte-Anne. C’est là qu’il a commencé à rêver en français, à penser en français, sans effort. Ça lui a fourni une base solide de la langue afin qu’il puisse retourner en Louisiane avec ses compétences linguistiques pour vivre en français.
« Après, je continuais à parler avec mes grands-parents, avec un voisin, avec des amis, il a déclaré. J'ai fait des amis qui étaient en immersion de mon âge. Donc, je refusais de parler en anglais avec des gens que je connaissais en Louisiane qui parlaient déjà français parce que je voulais apprendre. C'était la seule manière d'apprendre. »
Quelques années plus tard, Ortego a été représentant de l’État, de 2012 à 2016. Pendant ce temps, il s’est consacré à l’institutionnalisation du français en Louisiane. Le projet de loi no 998 d’Ortego en 2014 a permis aux paroisses, soit les jurys de police soit les conseils paroissiaux, de demander au Département des transports et du développement (DOTD) de l’État de fournir des panneaux bilingues le long des autoroutes étatiques et fédérales. Le projet de loi a finalement été signé par le gouverneur Bobby Jindal et il est devenu la Loi 263, qui a chargé le DOTD avec la responsabilité d’adopter des suppléments au « Manual on Uniform Traffic Control Devices » (MUTCD) pour y inclure une signalisation bilingue.
« Donc, on avait déjà commencé à parler avec plusieurs présidents de paroisse ou présidents de jury police dans les 22 paroisses de l’Acadiana, a déclaré Ortego. On avait l'intention que dès que la politique était adoptée par le département de transport, on voulait passer dans chaque paroisse et parler avec les jurys de police ou bien les conseils. »
Selon Ortego, le DOTD n’a jamais pris de mesures pour adopter les changements au MUTCD. Ainsi, près de 10 ans plus tard, les paroisses n’ont toujours pas la possibilité d’adopter des panneaux bilingues. Pourtant, Ortego a fait des progrès sur ce front en 2021. Son entreprise SO Studio Architecture a pu travailler avec Makemade et Lafayette Consolidated Government pour installer des panneaux d’orientation et de signalisation bilingues dans tout le centre-ville, appelé le projet Route Lafayette.
Bien que ces panneaux n’existent qu’au centre-ville de Lafayette asteur, l’entreprise d’Ortego et Makemade ont également pris quelques mesures que DOTD n’a pas prises, apportant des changements au MUTCD qui comporte des panneaux bilingues qui vont au-delà de l’orientation, comme les panneaux d’arrêt. Si le gouvernement de la paroisse décidait d’adopter ces changements à l’échelle de la paroisse, Ortego a déclaré que le document décrivant les changements au MUTCD fournirait une voie pour le faire. Au niveau de l’État, Ortego a souligné que quant à la législation, tout est en place pour que DOTD puisse implémenter la signalisation bilingue.
« Mais peut-être il y a des gens qui peuvent demander aux représentants d'État de revenir à la question, et pousser plus pour même peut-être donner de l'argent au département pour adopter la politique qui est déjà écrite dans la loi, a déclaré Ortego. Donc, si c'est financé, ils ont plus d'excuses. »
Un pont vers la prochaine génération
Philippe Billeaudeaux a fait partie de la première classe d’immersion française à Lafayette au début des années 90 à S.J. Montgomery Elementary School, qui est asteur à Myrtle Place Elementary School. Billeaudeaux a également fait partie des classes à Prairie Elementary School, puis à Paul Breaux Middle School, alors qu’il entendait aussi du français chez lui de son père.
« Je continue d'utiliser le français dans mes projets créatifs, a déclaré Billeaudeaux, 37 ans de Lafayatte. Je joue de la musique cadienne et créole avec Feufollet, Steve Riley, et Cedric Watson. Aussi je fait un dessin animé en français louisianais avec un film maker qui s'appelle Marshall Woodworth. Lui, il habite à Nouvelle-Orléans. On a créé Les Aventures de Boudini et Ses Amis ensemble. C'est un cartoon en français pour les élèves d'immersion en Louisiane. »
Boudini est un projet de Creole Cartoon Company de Billeaudeaux et Woodworth, produit en partenariat avec Télé-Louisiane, qui a été diffusé en ligne pour la première fois en janvier 2021. Cette année, une nouvelle saison de la série sera diffusée sur Louisiana Public Broadcasting. Avec des personnages comme Kirby Jambon, maître d’école d’immersion et poète officiel de la Louisiane française, et les musiciens Cedric Watson et Louis Michot, des étudiants en immersion ont l’occasion d’entendre le français louisianais de la communauté francophone locale.
Au cours des dernières années, il y a eu une hausse des projets dirigés par d’anciens étudiants en immersion. En 2018, un balado intitulé « Charrer-Veiller » a été fondé par Joseph Pons et Chase Cormier; Drake LeBlanc, chef de la création et co-fondateur de Télé-Louisiane, et Jo Vidrine, photographe de l’équipe, ont participé aux écoles d’immersion de Lafayette; et « Le Bourdon de la Louisiane », un journal virtuel, a été fondée en 2018 par l’ancienne étudiante de Sainte-Anne Sydney-Angelle Dupléchin Boudreaux et aussi Bennett Boyd Anderson III.
Dans les alentours de Lafayette, quelques organisations ciblent les étudiants en immersion afin de fournir des exemples de français existant en dehors de la salle de classe. À Vermilionville, le musée d’histoire vivante de Lafayette, le personnel organise de nouveau un camp d’été en juillet pour des étudiants en immersion française. Zach Fuselier, un ancien étudiant en immersion, travaille à Vermilionville comme jardinier patrimonial ayoù il s’occupe des animaux et du jardin du musée, offrant des présentations pratiquement tous les jours en français.
« Et souvent, on a des touristes du Canada et de la France et d'autres pays francophones, a déclaré Fuselier, 26 ans, de Lafayette. Ça fait je peux partager ma culture avec eux-autres et je peux faire ça en français. Ça fait c’est une langue qu'eusse, ils sont plus confortable dedans. Et je peux représenter la Louisiane, qu'il y a toujours du monde qui parle français. »
Malgré les projets récents de certains anciens élèves en immersion, Fuselier a déclaré que la majorité de ses anciens camarades de classe n’utilisent probablement pas la langue dans leur vie quotidienne. La vie en dehors de l’école n’existe souvent qu’en anglais : même pour lui, l’anglais est la langue qu’il utilise le plus dans sa vie. C’est pourquoi Fuselier a dit qu’il est encore plus important de favoriser un environnement francophone afin que les étudiants en immersion, actuels et anciens, continuent d’exister dans la langue après avoir quitté la classe.
« Il faut donner quelque chose, un incentive pour les enfants, premièrement, apprendre la langue et puis, deuxièmement, l'user dans leur vie de tous les jours, il a déclaré. Si on veut ramener le français, il faut avoir de plus en plus de ressources, juste pour vivre en français. »