Plus de 5 000 enfants apprennent le français grâce à l’immersion en Louisiane, ce qui crée une petite mais croissante population de nouveaux francophones dans l’État.
Cet article est la première partie d’une série sur le français en Louisiane. La deuxième partie, qui explore comment les anciens élèves en immersion utilisent leurs compétences linguistiques pour soutenir le français dans l’État, sera publiée le 9 mai.
Reportage par Jonathan Olivier | Photos par Jo Vidrine
Au milieu du XXe siècle, la transmission du français à la maison a commencé à diminuer rapidement en Louisiane, ce que les linguistes classent comme une « conversion linguistique ». L’anglais est devenu la langue dominante parlée à la maison et à travers toutes les communautés de l’État.
Selon Shane K. Bernard, dans son livre « The Cajuns : Americanization of a People », plus de 80 pour cent des gens du sud de la Louisiane parlaient le français comme langue maternelle au début du XXe siècle. Ce chiffre est tombé à 21 pour cent pour les personnes nées entre 1956 et 1960, et encore moins à 8 pour cent pour celles nées entre 1971 et 1975.
Cette tendance s’est poursuivie pendant des décennies et ces jours-ci, le français a essentiellement disparu comme première langue apprise à la maison ou parlée à travers la plupart des communautés. Au lieu de cela, le français est asteur généralement appris par des enfants unilingues anglophones comme deuxième langue dans les écoles d’immersion française. Ils apprennent une variante scolarisée et standardisée de la langue. L’immersion est donc devenue l’un des moyens les plus importants et les plus viables d’augmenter une population de nouveaux francophones en Louisiane.
« On a des élèves à la maternelle qui nous disent des phrases complètes en français d’ici Noël. Ils nous disent leurs besoins, a déclaré Lindsay Smythe, cheffe d’école à l’École Saint-Landry, une école d’immersion à charte à Sunset. Et ils peuvent participer en français toute la journée. »
À l’École Saint-Landry, les enfants qui sont typiquement unilingues anglophones commencent à la maternelle ayoù ils passent la majorité de leur journée à apprendre le français par des cours comme les mathématiques et les sciences. Habituellement, ils ne sont enseignés en anglais que pendant les cours d’anglais.
Fondée en 2021 comme un campus d’immersion complet avec la maternelle et le premier livre, l’École Saint-Landry accueille actuellement de la maternelle au deuxième livre. Smythe a dit que son équipe continuera d’ajouter des grades à mesure que leur groupe actuel d’élèves progresse chaque année, offrant des cours finalement jusqu’au huitième livre.
En 2010, le nombre d’étudiants en immersion a atteint 3 416 à l’échelle de l’État. Aujourd’hui, les 103 élèves actuellement inscrits à l’École Saint-Landry comptent parmi plus de 5 100 enfants qui participent à des programmes d’immersion française dans plus de 35 écoles en Louisiane. Ils ont rejoint les milliers d’autres qui ont participé à l’immersion au cours des trois dernières décennies. Plusieurs milliers d’autres ont participé à des programmes d’immersion comme adultes, notamment à l’Université Sainte-Anne dans la province acadienne de Nouvelle-Écosse au Canada.
Pourtant, l’immersion demeure un effort niche dans le système d’éducation anglophone. Les élèves en immersion représentent moins de 1 pour cent de la population d’âge scolaire de la Louisiane : il y a environ 1 million d’enfants de moins de 18 ans dans l’État. Ainsi, l’augmentation du nombre d’écoles qui offrent un programme est une priorité pour les activistes et les éducateurs depuis des années.
Selon Michèle Braud, spécialiste des langues du monde au ministère de l’Éducation de la Louisiane, les fonctionnaires de l’État impliqués dans l’immersion voudraient continuer à augmenter les inscriptions de 5 pour cent chaque année. Bien que le département de Braud compile encore des chiffres de l’année académique 2022-2023, elle a noté que les inscriptions sont en hausse.
En août 2023, trois autres programmes ouvriront leurs portes : l’École Pointe-au-Chien à la Pointe-aux-Chênes deviendra le premier programme majoritairement franco-indien; l’Evangeline Reimagine Academy ouvrira ses portes à la Ville Platte grâce à la subvention Reimagine School Systems de la Louisiane; et Fairfield Elementary Magnet School sera le premier programme à Shreveport.
Le début des écoles d’immersion française en Louisiane
James Domengeaux, qui en 1968 a joué un rôle central dans la création du Conseil pour le développement du français en Louisiane (CODOFIL), a souvent dit que « l’école a détruit le français ; l’école doit le restaurer. » Bien sûr, Domengeaux faisait référence au fait que le français en Louisiane a connu un déclin si rapide au XXe siècle, en grande partie, en raison de la constitution de l’État de 1921. Par conséquent, le français a été essentiellement interdit à l’école : des châtiments corporels ont souvent été infligés aux enfants qui parlaient la seule langue qu’ils connaissaient afin de les forcer à apprendre l’anglais.
La vision de Domengeaux était de rétablir la langue dans toutes les communautés de la Louisiane par l’éducation. Dans les années 1970, le CODOFIL a d’abord mis en place un plan d’enseigner le français à travers des cours courts pendant la journée : les résultats se sont avérés peu encourageants. Domengeaux s’est ensuite tourné vers le Canada ayoù il existait plusieurs écoles d’immersion française. Les profs enseignaient la plupart des cours dans la langue elle-même au lieu d’enseigner le français aux élèves dans des cours de langue. L’intérêt de Domengeaux a mené à un programme d’immersion pilote au Bâton-Rouge en 1981, mais les programmes n’ont pas vraiment commencé à décoller avant les années 1990.
Au début de 2010, la mission de CODOFIL a été modifiée par une série de lois. En 2010, l’ancien sénateur Eric Lafleur, D-Ville Platte, a présenté l’Act 679, qui a été adoptée pour redéfinir l’objectif de CODOFIL. L’organisme était spécifiquement chargé d’améliorer les écoles d’immersion française de la Louisiane en coordination avec le ministère de l’Éducation de la Louisiane et le Louisiana State Board of Elementary and Secondary Education à travers le « International Associate Teacher Program ».
L’établissement d’un programme d’immersion dans un district scolaire de la Louisiane est possible grâce à une loi adoptée en 2013. L’Act 361 stipule que les parents ou les tuteurs légaux d’au moins 25 enfants d’âge préscolaire qui restent dans un district scolaire donné doivent signer une pétition. La loi de l’État exige qu’un conseil scolaire crée un programme d’immersion. Cependant, cette loi n’a pas des mécanismes de mise en vigueur et les districts scolaires ont ignoré au moins 4 pétitions dans les dernières années: 2 en Terrebonne et 2 en St. Tammany. Braud a déclaré que la voie la plus efficace pour ouvrir un programme est pour les parents de simplement commencer une conversation avec le district scolaire, le CODOFIL et son bureau.
Habituellement, un programme est offert dans une école anglaise qui ajoute un programme d’immersion en français. D’autres écoles offrent seulement l’immersion française, comme le cas de l’École Saint-Landry. Il n’existe que quelques options pour les étudiants qui veulent continuer en immersion au high school, comme le Lycée Français à la Nouvelle-Orléans et Lafayette High School à Lafayette.
Le français dans un curriculum anglophone
Reconstruire le français après plusieurs générations de conversion linguistique n’a pas été une tâche facile. Le manque de transmission à la maison signifie que la Louisiane n’a pas assez de maîtres d’école francophones certifiés. Ainsi, CODOFIL et ses agences partenaires coordonnent avec les gouvernements étrangers pour fournir des visas J-1 du département d’État américain aux maîtres d’école qui enseignent en Louisiane pour une période de trois ans, qui peut être prolongée de deux ans. Il y a des accords officiels entre l’État et des pays comme la France, le Canada et la Belgique et les maîtres d’école viennent d’ailleurs itou, notamment de l’Afrique francophone.
Puisqu’il y a majoritairement des maîtres d’école étrangers dans ces écoles, les élèves n’entendent souvent pas le français louisianais en classe parce que ces enseignants ne connaissent pas souvent les différences régionales. Le « Minimum Foundation Program » (MFP) de l’État limite également le nombre de maîtres d’école étrangers qui peuvent enseigner en immersion en Louisiane à 300. Par conséquent, la priorité est accordée aux programmes élémentaires. La limite d'enseignants par MFP, ainsi que les taux élevés d’attrition chez les élèves en immersion après l’école secondaire, ont mené à la création d’une poignée de programmes d’immersion au high school.
Afin d’agrandir son école, Smythe de l’École Saint-Landry aimerait que la loi de l’État soit modifiée pour supprimer le plafond dans le nombre de professeurs étrangers. Parce que, à partir d’asteur, l’expansion de son école au-delà du huitième livre serait un défi : elle devrait trouver des enseignants locaux francophones et certifiés pour enseigner, ce qui, selon elle, peut être difficile dans les petits villages comme le sien.
Les maîtres d’école étrangers sont également chargés de naviguer dans les normes du curriculum de la Louisiane. Chaque école doit suivre des règles de son district scolaire, qui est souvent rédigé en anglais. « Donc, si un district adopte un programme de mathématiques, si ce programme de mathématiques existe pas en français, c’est aux professeurs d’immersion de traduire tout le programme en français », Smythe a déclaré.
Smythe a dit qu’elle aimerait voir la création d’un curriculum en français à l’échelle de l’État qui pourrait être appliqué à toutes les écoles d’immersion française. Cependant, certaines écoles, comme l’Audubon Charter School à la Nouvelle-Orléans, suivent les normes académiques de la Louisiane mais aussitte de la France, établies par le ministère français de l’Éducation qui fait partie de l’Agence pour l’enseignement du français à l’étranger (AEFE).
Selon Sophie Capmartin, directrice du programme français à Audubon, ses élèves apprennent à l’aide de livres et de matériaux achetés en France. « Le travail sur un curriculum français permet une plus grande ouverture sur le monde et apporte une perspective interculturelle sur certains thèmes ou dans la façon d'aborder certaines disciplines, elle a déclaré. Les textes en littérature française sont des œuvres intégrales d'auteurs francophones que les élèves étudient dès le troisième grade. »
Capmartin a noté que les élèves d’Audubon obtiennent généralement un résultat supérieur ou égal à la moyenne nationale française au Diplôme d'études en langue française, qui certifie les compétences linguistiques d’une personne. En général, les étudiants en immersion ont tendance à mieux réussir les tests normalisés louisianais que leurs pairs monolingues.
Malgré les défis que pose le rétablissement du français dans un système d’éducation anglophone, Smythe dit reconnaître les nombreux avantages que ses élèves reçoivent. De plus, elle sent qu’elle fait sa part pour reconnecter ses élèves à un patrimoine linguistique unique.
« Je me sens personnellement très honorée de faire partie de ce qu’on fait, a déclaré Smythe. Ces élèves qui sont bilingues auront plus de possibilités, plus de portes ouvertes. Je suis très heureuse qu’on soit capable d’offrir tout ça à nos étudiants, parce qu’ils avaient pas cette possibilité avant. »